top of page

De l'Antiquité au Congrès de Milan

Haut de page 4

Les langues signées ne datent pas d'hier ! Elles sont même nées avec l'Humanité et des traces montrant des personnes en train de signer ont été retrouvées sur des tablettes d’argile et des poteries datant de l’Antiquité.
 

Le philosophe grec Platon reconnaît l’existence d’un langage gestuel propre aux personnes sourdes lorsqu’il écrit : Si nous étions privés de langue et de voix, et que nous voulussions nous désigner mutuellement les choses, ne chercherions-nous pas à nous faire comprendre, comme les muets, au moyen des signes de la main, de la tête et de tout le corps ? “ dans Le Cratyle (Ve siècle avant J-C).

Pour le philosophe grec Aristote, la parole, témoin de la pensée, distingue l’Homme de l’animal. En conséquence, les personnes sourdes ne pouvant ni entendre ni parler avec aisance, seront longtemps considérées comme intellectuellement déficientes. 

 

Dans ce podcast de France Culture, (durée 45 min) Florence Encrevé, spécialiste de la langue des signes, précise qu'au Moyen-Age le plurilinguisme de la société française permet à la langue des signes d’exister, au même titre que les autres langues régionales. En ville notamment, les sourds ne sont pas isolés et prennent part à la vie de la communauté. L’écrit est réservé à une élite et occupe peu de place dans la vie quotidienne, le langage gestuel pratiqué par les personnes sourdes ne choque donc pas. Les moines ayant fait voeu de silence utilisent également ce mode de communication. 

Au XVIe siècle, la première classe spécialisée pour les enfants sourds est créée en Espagne par le moine bénédictin Pedro Ponce de Leon. Il y enseigne à des enfants de la noblesse espagnole, des signes simples pour s’exprimer. Il invente également l’ancêtre de la dactylologie, le premier alphabet manuel permettant d’épeler les mots.

Abbe-de-l-epee.jpg

Abbé de l'Epée par auteur inconnu
Wikipédia Domaine public

Plaque_Abbé_de_l'Epée,_21_rue_Thérès

Plaque apposée au n° 21 de la rue Thérèse, au débouché de la rue des Moulins, Paris 1er, en mémoire de l'abbé de L'Épée (1712-1789) Wikimedia Commons CC-BY-SA-3.0

En France, au XVIIIe siècle, deux conceptions de la surdité s’opposent. Pour l’une, les personnes sourdes sont différentes mais égales aux entendants. Pour l’autre, les sourds souffrent d’une déficience qu’il convient de réparer afin de les rendre égaux aux entendants et d’empêcher leur stigmatisation liée à l’usage de la LSF, dans la société.

 

Deux méthodes d’éducation des jeunes sourds découlent de ces conceptions : 
 

  • La première méthode est incarnée par l'Abbé Charles Michel de l’Epée, dit l’Abbé de l’Epée, défenseur de l’accès de tous à une scolarisation gratuite. 
    Observant une conversation entre des jumelles sourdes, il prend conscience de l’existence d’une langue naturelle utilisée par les sourds pour communiquer entre eux. Il adapte cette langue en y intégrant des notions grammaticales et met ainsi au point une méthode gestuelle d’enseignement du français basée sur les signes méthodiques.

    Bénéficiant d’aides financières royales, l’Abbé de l’Epée fonde en 1760 à Paris
    la première école gratuite et accessible à tous les jeunes sourds
    (aujourd’hui l’Institut Saint-Jacques - INJS)






























     

En 1779, paraît Observations d'un sourd et muet, le premier livre écrit par un sourd,  Pierre Desloges.
Dans ce témoignage, il défend la langue des signes et milite pour l'intégration sociale, intellectuelle et culturelle des  sourds dans la société. 


En 1789, l’Assemblée Nationale reconnaît aux personnes sourdes les mêmes droits qu'à tous les citoyens français.

alphabet manuel.jpg

Alphabet manuel de l'Abbé de l'Épée : adopté par l'Institution nationale des sourds-muets pour leur instruction. Public Domain Mark

Il organise des démonstrations de sa méthode au cours desquelles il invite le grand public à poser des questions à ses élèves. Il interprète leurs réponses en langue des signes.
Une scène du film Ridicule de Patrice Leconte (1996) reproduit une de ces démonstrations.


Souvent considéré à tort comme l’inventeur de la langue des signes française, l'Abbé de l'Epée a grandement contribué à son émergence et au développement de la culture sourde en regroupant les jeunes sourds dans un même lieu éducatif.

signes méthodiques

Au XIXe siècle,  Ferdinand Berthier, élève puis enseignant de l’institution fondée par l’Abbé de l’Epée continue de “donner la parole” aux sourds encore appelés sourds-muets. Il défend activement leur droit d’utiliser la langue des signes (appelée alors la "mimique") dans la vie quotidienne et fonde en 1850 la Société centrale d’éducation et d’assistance pour les sourds-muets en FranceIl organise dès 1834 les premiers banquets commémorant l’Abbé de l’Épée. Ces banquets sont l’occasion de favoriser une meilleure connaissance de la communauté sourde auprès des entendants. Ferdinand Berthier contribue à l'information des sourds eux-mêmes sur la surdité et ses implications afin de lutter contre leur marginalisation. Surnommé "le Napoléon des sourds-muets" par Victor Hugo, il milite pour l'égalité civile en publiant en 1868, le Code Napoléon expliqué aux sourds-muets
Il est
le premier sourd à recevoir la Légion d’honneur en 1849.

Ferdinand_Berthier.gif

Ferdinand Berthier par auteur inconnu
Wikipédia Domaine public

Univ_gallaudet.jpg

Gallaudet University par MR Flickr CC BY-ND 2.0

Les XVIIIe et XIXe siècles sont parfois considérés comme l'âge d'or de la langue des signes car c'est un temps de développement et d'enrichissement. Des instituts pour jeunes sourds sont créés en France et en Europe contribuant à l'éducation et à l'émergence d'artistes et d'écrivains sourds.

La LSF s'exporte aux Etats-Unis par le biais du Pasteur américain Thomas Hopkins Gallaudet, venu en France chercher une méthode éducative pour sa fille sourde.

Il rencontre Laurent Clerc qui accepte de partir avec lui aux Etats-Unis et crée la première école pour enfants sourds.
Il adapte pour cela la LSF à la langue anglaise. Ce sont les débuts de la langue des signes américaine (ASL). En 1864, l'Université Gallaudet est fondée à Washington et c'est encore aujourd'hui la seule université au monde proposant un enseignement entièrement en langue des signes.

Alphabet français

  • La seconde méthode d'éducation en cours au même moment est l’oralisme qui privilégie la lecture labiale et la production de mots en français articulé. Son objectif est de permettre aux personnes sourdes de communiquer sur le même mode que les entendants. Prônée par Jacob Rodrigue Pereire, traducteur réputé, elle est mise en oeuvre par des précepteurs privés et souvent réservée aux familles les plus aisées. Les défenseurs de l’oralisme estiment que la langue des signes empêche l’apprentissage du français, singularise les personnes sourdes et gêne leur intégration dans la société. 
    Au même moment, le scientisme et la conviction que les progrès de la technique et de la science permettront de soigner les sourds contribuent à faire perdre du terrain à la pratique de la langue des signes en France.

oralisme
lecture labiale
scientisme
cornet_acoustique.jpg

Tuyau acoustique  Etienne Mahler via Flickr Domaine public

aurophone.jpg

En 1880, à Milan, se tient le 3e congrès international pour l’amélioration du sort des sourds-muets. Des spécialistes de l’éducation des sourds - 255 experts dont 3 seulement sont sourds - venus de l’ensemble des pays européens et des Etats-Unis se réunissent et valident la méthode orale comme étant la seule adaptée.

Le congrès, considérant l’incontestable supériorité de la parole sur les signes, pour rendre le sourd-muet à la société et lui donner une plus parfaite connaissance de la langue, déclare que la méthode orale doit être préférée à celle de la mimique pour l’éducation et l’instruction des sourds-muets.   A. Houdin, Rapport à Monsieur le Président du Conseil

La méthode gestuelle ou langue des signes, jugée imprécise et exclusive est dès lors interdite dans la plupart des écoles spécialisées en France. Les enseignements en langue des signes n’ont plus lieu, les professeurs sourds sont renvoyés. Seuls ont accès à une éducation, les jeunes garçons sourds aptes à bénéficier de la méthode orale, les autres voient leur niveau d'instruction baisser durablement faute d'accès à l'enseignement. 
La langue des signes reste interdite pendant plus d’un siècle mais sa pratique perdure, marginale, voire clandestine dans les cours de récréation et les associations de personnes sourdes.

Si le sujet vous intéresse,

sachez que vous pouvez visiter le
Musée de l'Histoire et de la Culture des Sourds (MHCS).
Il a été créé dans la ville de naissance de Ferdinand Berthier,

à Louhans en Saône-et-Loire.

« Qu'importe la surdité de l'oreille quand l'esprit entend ?

La seule surdité, la vraie surdité, la surdité incurable, c'est celle de l'intelligence. » 

Victor Hugo  à Ferdinand Berthier le 25 novembre 1845.

  • Facebook
  • Twitter

Mentions légales          |        Plan du site               

image_sansmodif2.jpg

© 2020 par E.BOURDON-ROS. Créé avec Wix.com  - dernière mise à jour : 25/08/20

bottom of page